“Ne pas jeter” ou les traces de la pandémie dans les services d’inspection (1)

Depuis quelques mois, je mène une recherche sur la continuité d’activité des services d’inspection sanitaire des aliments pendant la pandémie de Covid-19. A ce moment-là, le travail d’inspection s’est poursuivi sans interruption, sur site dans les abattoirs et les postes frontaliers, et en télétravail, total ou partiel, dans les directions départementales de protection des populations.

Les premiers contacts pour cette enquête ont été pris en 2021, mais l’enquête n’a pas été simple à mettre en place et elle prend du temps ; la pandémie commence à être moins présente dans les esprits. Pour stimuler la mémoire de mes interlocutrices et interlocuteurs, j’ai donc pris l’habitude de leur demander, en début d’entretien, s’il y a dans leur service des traces de la pandémie que je pourrais prendre en photo. Cette demande permet d’initier la discussion et d’alimenter le questionnement lors des entretiens qui suivent. J’ai ainsi constitué, au fil de mes visites dans divers sites, une collection d’images hétéroclites.

L’inventaire des photos ainsi collectées permet de dégager trois ensembles d’images, qui seront l’objet d’une mini-série de 3 billets sur le blog : ce premier billet montre des traces des équipements de protection fournis par l’État, en l’occurrence les services départementaux de protection des population, pendant la pandémie¹ ; un deuxième billet regroupera des images d’objets et d’équipements bricolés par les équipes elles-mêmes pour se protéger pendant le premier confinement ; enfin un dernier billet montrera les affichages ayant trait au Covid, souvent encore présents sur les murs, les portes ou les panneaux des services visités.

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Les photos de masques sont naturellement les plus répandues, et elles offrent une belle diversité de couleurs et de forme. On trouve les masques en tissu au fond des tiroirs, et ils attestent du dénuement des services de l’État pour protéger leurs agents dans la première phase de la pandémie. La série suivante présente successivement “le masque serpillère“, “les petites fleurs” et les “bicolores” ! Ces qualificatifs ironiques permettent de les repérer au premier coup d’œil… Les élastiques fatigués de ces masques montrent qu’ils ont été portés, souvent, malgré la faible protection qu’ils garantissaient.

Aussi attendu que les masques, on trouve aussi dans les services du gel hydroalcoolique, dans des contenants et sous des formats divers, liquide ou imbibant des lingettes.

Sur cette photo, on note le post-it rose, sur lequel est écrit en gros et en lettres capitales “VIDE”, ainsi que la mention “NE PAS JETER” sur le bidon. Pourquoi ne pourrait-on pas jeter un bidon vide ? Interrogée à ce propos, la cheffe du service m’explique que plus rien n’est jeté dans son équipe “au cas où”. En l’occurrence, la pénurie de gel a été, un temps, liée à l’absence de bidon pour le transporter ce qui a attiré l’attention sur la question des contenants. Un distributeur de lingettes comme celui de la photo peut aisément être rempli de lingettes que l’on arrosera ensuite de solution à l’alcool, ce qui explique qu’il ait été choisi pour être gardé, même si des lingettes arrivent aujourd’hui sans problème comme le montre le deuxième bidon de lingettes, juste à côté. De nombreux services ont ainsi constitué des réserves de produits divers et variés, anticipant une possible reprise de l’épidémie de Covid-19. La constitution de stocks locaux permet aussi de poser des questions sur ce qui peut aussi être interprété comme une marque de défiance, qui persiste, vis-à-vis des services du siège départemental ou régional qui n’ont pas pu garantir un approvisionnement suffisant pendant la pandémie.

Je termine avec deux photos d’équipements fournis par le siège départemental, mais devenues inutiles : un thermomètre, retrouvé au fond d’un placard, dont les piles ne fonctionnent plus, et une boite, isolée d’un (gros) stock d’autotests en voie d’être périmés, que personne n’a utilisés car ils sont arrivés bien trop tard, alors que les tests étaient réalisés plus facilement ailleurs, dans les pharmacies, les laboratoires, les centres de dépistage ou même sur le lieu de travail.

Le thermomètre a une histoire. Lors du premier confinement, alors qu’il n’existe pas de test de dépistage, les établissements d’abattage ont souvent choisi de prendre la température de leurs salariés à l’entrée pour écarter les employés fiévreux. Lorsque les services d’inspection ne souhaitaient pas participer à ces campagnes de prise de température organisées par les responsables des abattoirs qu’ils contrôlent, ils ont souvent proposé de faire eux-mêmes des relevés de température en interne, d’où la présence du thermomètre. Établissements d’abattage comme services d’inspection ont cependant très vite abandonné cette vérification matinale, couteuse en temps et peu fiable, puisqu’elle renvoyait chez eux des opérateurs ou agents qui n’étaient pas atteints du Covid alors que des personnes malades ne présentaient pas de fièvre à l’heure d’embaucher…

A suivre…

1. Toutes les photographies de ce billet ont été prises par moi, dans des services que je ne nomme pas pour respecter l’anonymat des personnes rencontrées, avec l’accord de mes interlocutrices et interlocuteurs d’enquête. Elles ont parfois été retouchées pour empêcher que l’on reconnaisse une personne ou un lieu. En ce cas, l’information est donnée dans la légende. [↩]