“Chez le fournisseur d’accessoires de moto” ou les traces de la pandémie dans les services d’inspection (2)

Depuis quelques mois, je mène une recherche sur la continuité d’activité des services d’inspection sanitaire des aliments pendant la pandémie de Covid-19. A ce moment-là, le travail d’inspection s’est poursuivi sans interruption sur site dans les abattoirs et les postes frontaliers, et en télétravail, total ou partiel, dans les directions départementales de protection des populations. Au cours de cette enquête, je prends des photos de traces de la pandémie dans les lieux où je suis accueillie. Ces images servent de support de mémoire pour les entretiens. Après avoir montré les vestiges des équipements de protection fournis par les services départementaux dans un premier billet,  je présente ici des images d’objets bricolés par les équipes elles-mêmes pour se protéger pendant le premier confinement.

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Dans les premières semaines du confinement, les masques ne sont pas disponibles pour les agents de l’État qui travaillent sur site, que ce soit dans les abattoirs ou dans les postes frontaliers. Plusieurs services ont donc bricolé des équipements de protection, comme ces visières qui se fixent sur les casques d’abattoir, réalisé à partir de couvertures plastiques qui servent ordinairement de reliures pour les documents volumineux.

Couverture de reliure plastifiée, découpée avec des ciseaux et poinçonnées pour les attacher aux casques d’abattoirs

Le résultat final (La photo a été retouchée pour masquer le texte des feuilles qui apparaissent sous la visière)

Cette photo de la visière accrochée au casque a circulé entre chef.fe.s de services d’inspection en abattoir, comme modèle

Les visières sont sujettes à la salissure et à la buée, ce qui peut obstruer le champs de vision des inspecteurs, alors que la vue est indispensable à la réalisation des inspections, qui consistent (presque exclusivement à cette période) en un examen visuel des carcasses. Comme il est interdit de mélanger les visières (il faut limiter les contacts), chacun est responsable du nettoyage de son matériel. Pour en améliorer le confort, diverses astuces sont testées et partagées entre les membres des équipes, comme le lavage avec du produit vaisselle, du savon ou de la mousse à raser (recommandation de la photo de gauche) ou l’utilisation de produit anti-buée généralement destinés aux motards (à droite).

Les équipements de moto ont fait l’objet de beaucoup d’intérêt dans les abattoirs à cette période. En effet, une des grosses difficultés du travail d’inspection en abattoir est qu’on ne peut pas y respecter la distanciation : le travail y est posté et les halls d’abattage, bruyants, supposent que les interlocuteurs se penchent les uns vers les autres pour se comprendre ; or, à cette période, le port des masques (bricolés, en tissu et plus tard chirurgicaux) ne permet pas de lire sur les lèvres. Il a donc été envisagé de doter les agents de masques avec des petits micros, comme ceux que l’on utilise dans les motos-écoles. On trouve des traces de ces recherches dans les échanges entre services d’inspection en abattoirs, services logistiques départementaux et magasins de matériel de moto. Il y est question de “module intercom” avec “ses écouteurs et son micro” qui peuvent s’adapter aux casques utilisés par les agents du service, ont “une portée de 1600 mètres”, “une autonomie de 13 heures”, avec une prise de ligne en Bluetooth et GPS et reliant jusqu’à 15 opérateurs en même temps !

Néanmoins, cette idée inédite est restée à l’état de projet et n’a pas eu de concrétisation. Les agents des abattoirs ont été “à deux doigts d’avoir le truc“, comme le déplore un chef de service qui voit aujourd’hui l’utilisation qu’il aurait pu faire de ce type de casque hors période Covid, pour la formation de ses agents. Reste que cette question de la communication dans les halls d’abattage a permis de mettre à l’ordre du jour la question du bruit auquel sont exposés celles et ceux qui y travaillent, ce qui a donné lieu depuis à des groupes de travail entre l’administration et les syndicats.

Parmi les adaptations locales à la pandémie, on trouve aussi diverses initiatives qui tendent à personnaliser les postes et les outils de travail. Dans les abattoirs, depuis toujours, on ne partage ni ses couteaux, ni ses vêtements (pantalon, blouse), ni ses équipements de protection (bottes, côte de maille, protections auditives…). En revanche, les ordinateurs étaient souvent partagés, de même que le petit matériel de bureau. La période de la pandémie a mis un terme à ce fonctionnement : les agents se sont souvent vu attribuer un poste de travail en fonction de leurs tâches de bureau du jour, et même les stylos et surligneurs ont été individualisés, comme le montrent ces petits sachets qui appartiennent chacun à un membre différent de l’équipe… On remarque que l’habitude de la petite trousse en sachet plastique a été conservée, au moins sur ce site-là !

La photo a été retouchée pour masquer les prénoms qui apparaissaient au marqueur sur les sacs.

A suivre…