Quelques affiches comme traces de la pandémie dans les services d’inspection (3)

Depuis quelques mois, je mène une recherche sur la continuité d’activité des services d’inspection sanitaire des aliments pendant la pandémie de Covid-19. A ce moment-là, le travail d’inspection s’est poursuivi sans interruption et sur site dans les abattoirs et les postes frontaliers, et en télétravail, total ou partiel, dans les directions départementales de protection des populations. Au cours de cette enquête, j’ai pris des photos de traces de la pandémie dans les lieux où j’ai été accueillie. Ces images servent également de support de mémoire pour les entretiens. Après avoir montré les vestiges des équipements de protection fournis par les services départementaux dans un premier billet, puis des objets bricolés dans les équipes pour se protéger dans un deuxième billet, j’aborde ici la présence de quelques affiches¹.

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S’intéresser aux affiches de la pandémie conduit à prêter attention à deux types de supports bien différents : d’une part des affiches officielles, spécifiques ou non aux abattoirs², et d’autre part beaucoup d’affichettes réalisées localement, qui traduisent concrètement les instructions reçues ou adoptent le ton de l’humour et se moquent de la situation.

Les affiches gouvernementales concernent essentiellement les modes de contamination et les moyens de protection. S’agissant des modes de contamination, c’est toujours le contact qui est mis en avant et non la contamination aérienne, ce qui entraine que la distanciation soit promue comme le meilleur mode de protection, ainsi qu’en attestent les deux affiches suivantes, l’une générale, l’autre envoyée dans les abattoirs. On peut noter que cette dernière, en date du 11 mai 2020, s’adresse au personnel d’abattoir (pas seulement aux agents de l’État), mais n’est pas spécifique dans ses recommandations, puisqu’il est question d’être touché par un postillon d’une part et de porter ses mains au visage, de l’autre. Elle pourrait donc concerner n’importe quel lieu de travail. En revanche, elle n’aborde pas le sujet des conditions de travail spécifiques à l’abattoir, notamment le travail sur chaîne, avec des postes de travail fixes et souvent proches.

 

 

Il est intéressant de noter que ces documents génériques ont généralement fait l’objet d’adaptations locales, concrètes, “rester à distance” devenant “ne pas entrer dans le bureau” ou “vous tenir écarté des tables de contrôle”, comme dans les images ci-dessous.

 

 

Beaucoup de ces affiches produites localement ont en effet pour objectif de séparer les espaces et de mettre le plus possible les personnes à distance les unes des autres : “pas plus d’une personne à la fois dans le bureau”. Se prémunir contre l’autre voie de contamination, par contact, suppose en outre qu’on ne touche plus rien, d’où les portes qui doivent rester ouvertes “afin de réduire les manipulations des poignées”.

 

 

Assez rapidement, le ministère envoie des instructions spécifiquement pour les abattoirs, comme le montre l’affiche ci-dessous. Elle identifie les postes de travail concernés sur la chaîne : inspection ante mortem, prélèvements et inspection des abats et inspection post mortem. Le pictogramme vert semble indiquer qu’il n’y a pas de difficultés au poste d’inspection des abats mais que le poste d’inspection des carcasses, avec la croix rouge, est plus exposé. Cette représentation a le mérite de montrer des situations concrètes de travail, mais cette distinction des postes n’est pas toujours si claire, certains postes étant regroupés autour d’une même plateforme, notamment dans les abattoirs de porcs. Dans d’autres lieux, plus petits ou dont la chaîne est organisée différemment, le schéma apparait même un peu décalé. De façon générale, dans le travail posté, la distance avec les voisins de chaîne n’est pas modifiable, donc tous les postes de travail sont potentiellement (trop) proches.

 

 

En revanche, l’affiche aborde un sujet particulièrement important dans les halls d’abattage : comment maintenir la communication avec les opérateurs et entre collègues des différents postes d’inspection dès lors qu’on ne peut plus se rapprocher ? Si toutes et tous reconnaissent le problème, les agents d’inspection ont souvent été dubitatifs devant ces instructions, soit parce qu’ils le font déjà ponctuellement (la communication par gestes), soit parce qu’ils n’ont pas jugé que les consignes étaient applicables : l’ardoise ou le talkie-walkie, en particulier, ont semblé décalés.

Après, il y a des documents qui étaient passés avec des instructions « il faut faire des gestes », « il faut écrire sur une ardoise » : ça marche pas, ça ! (Entretien avec un technicien d’un abattoir multi-espèces, 2023)

J’avoue que moi, j’ai rien essayé de tout ça, en fait. On a géré le quotidien… Pas dans la précipitation, mais on a géré au quotidien. En fait, je pense qu’on n’a pas exprimé le besoin d’avoir ça parce que… du fait de notre organisation ! (Entretien avec un technicien d’un abattoir de porcs, 2023)

Outre ces affiches à visée informative, on trouve aussi dans les services de nombreuses affiches plus humoristiques, souvent des montages avec des images qui sont des références communes, comme cette allusion aux tontons flingueurs dans l’image de gauche ci-dessous, apparue en même temps que le variant “Omicron”. Aucune de ces affiches pour rire ne traite du travail ou des situations de travail. Au contraire, la deuxième, avec des animaux ordinairement chassés qui se réjouissent de bénéficier d’un certain répit en raison du confinement, a été placardée dans un abattoir où pourtant, l’activité continuait sans baisse de tonnage…

 

 

Plus généralement, beaucoup de ces affiches humoristiques raillent les gens qui restaient chez eux, comme ce chien de berger en télétravail, ou qui n’avaient qu’un petit temps de sortie, comme le chien épuisé par la promenade de la deuxième photo. Or le télétravail ne concernait absolument pas les agents des services d’inspection qui travaillaient sur site comme d’habitude, voire, durant le premier confinement, un peu plus que d’habitude en raison de la réorganisation des flux d’approvisionnement !

 

 

Sous couvert d’humour, par la moquerie, ces affiches permettent donc de rappeler la distinction entre le groupe de ceux qui sont à leur poste, à l’abattoir ou en postes frontaliers, et l’ensemble de la société, confinée et n’arrivant pourtant pas à faire face… Elles illustrent donc particulièrement la fonction du rire comme moyen de souder des collectifs, ici de travail.

 

 

1. Je présente ici des affiches encore présentes lors de mon passage dans les divers lieux d’enquête, mais aussi des documents envoyés par le ministère, destinés à l’affichage, qui ont souvent déjà été enlevés lorsque je suis passée, mais m’ont été transmis sous forme de fichier informatique. [↩]
2. Je n’ai rien vu de spécifique aux postes frontaliers et aucun de mes interlocuteurs ou interlocutrices ne se souvient d’avoir reçu des supports propres aux SIVEP. [↩]

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