“Paul dans sa vie”, un documentaire de Rémi Mauger
« Tu fais quoi ? Tu fais un film ? T’es comme tout le monde, tu dois me trouver folklorique. Mais moi, je ne suis pas dans le folklore, je suis dans ma vie ». C’est par ces mots que Paul Bedel adresse au réalisateur que commence le film. Agriculteur au cap de la Hague dans le Cotentin, Paul s’apprête à prendre sa retraite avec ses deux sœurs, Marie-Jeanne et Françoise, qui vivent et travaillent avec lui sur la ferme familiale. Le documentaire, sorti en 2006, comprend deux épisodes d’une heure environ chacun qui suivent Paul dans son quotidien durant une année.
Sur la ferme familiale sont élevées cinq robustes vaches Normandes, des canards, des lapins, et cultivé tout ce qui est nécessaire pour nourrir les hommes et les bêtes. La famille Bedel n’a pas pris le chemin de la modernisation. Paul a concédé l’achat d’un tracteur, d’une botteuse et d’une moissonneuse pour alléger le travail mais ses machines datent toutes des années 1940. Toutes les autres tâches, que ce soit la traite des vaches, le semis des cultures, l’épandage du fumier ou encore la fauche de l’herbe, sont faites à la main par Paul et ses sœurs, comme le faisaient leurs parents avant eux. Néanmoins, tous trois ne vivent pas isolés du reste de la société. Bien au contraire, ils entretiennent des liens étroits avec leurs deux autres frères, fréquentent le voisinage, vendent en direct certains produits de la ferme. Ils sont surtout très investis auprès de leur paroisse – Paul est même devenu sacristain. Depuis quelques temps, ils accueillent régulièrement Fabrice, un jeune homme originaire de la région « à la recherche d’un retour aux sources ». Fabrice accompagne Paul dans ses diverses activités, et ce dernier, tout en montrant ses carnets, lui montre ses multiples savoir-faire et lui raconte avec humour des bribes de sa vie de cultivateur.
« Ça fait assez ! » dit l’une des sœurs de Paul. Lui-même estime qu’il a suffisamment travaillé. Mais arrêter, c’est accepter de se séparer des vaches, ce qui est très douloureux. A la fin du documentaire, ils se sont résolus à franchir le pas, et on voit Paul dans un pré avec les vaches, discuter avec un maquignon. Alors la vie à la ferme se poursuit autrement. Les sœurs ont gardé leur basse-cour, Paul, désarçonné par une telle liberté, choisit de continuer à cultiver ses champs.

Transport du pot à lait utilisé pour la traite des vaches. Photographie extraite du film.
Le film joue sur les contrastes : sur un plan, on voit Paul qui travaille la terre à la main avec en fond les installations nucléaires de la Hague ; sur un autre, Paul conduisant son antique tracteur pendant que des machines bien plus modernes et imposantes traversent le champ voisin. En regardant ce documentaire, j’ai repensé à celui de la ferme des Bertrand qui est sorti récemment et qui a fait l’objet d’un article sur ce blog. Ce sont des voies différentes que ces deux familles d’agriculteurs ont suivies, mais toutes deux sont confrontées à la question de la transmission. Pas d’enfants ni de neveux ou nièces qui reprennent la ferme chez les Bedel, seulement Fabrice, en quête de sens, qui apprend aux côtés de Paul une forme de simplicité, de sobriété choisie, au nom de l’indépendance et du goût d’une vie au plus proche de la nature.
Ma seule réserve concerne le choix du réalisateur de se concentrer exclusivement sur la parole de Paul. Si on le voit travailler avec ses sœurs et échanger avec elles des actualités ou de la décision d’arrêter la ferme, on ne saura rien d’elles ni de leur propre regard sur leur existence. Seul Paul s’interroge : peut-être auraient-elles fondé leur propre famille si elles ne l’avaient pas soutenu comme elles l’ont fait ? Nous ne connaîtrons pas leur réponse à cette question.
Le film est accessible sur france.tv via ce lien jusqu’au 31 mars 2025.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Florence Hellec (11 mars 2025). “Paul dans sa vie”, un documentaire de Rémi Mauger. L'ESTIVE. Consulté le 23 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13g7e