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Etre éleveuse en famille aujourd’hui #1. Présentation de l’enquête.

En ce début d’année, j’ai décidé de me replonger dans un corpus d’entretiens auprès d’éleveuses de vaches laitières, qui ont été réalisés par Maéva Donadieu au printemps 2023 dans le cadre de son stage de master 21. L’enquête portait sur le rôle des femmes dans la diffusion des médecines alternatives en élevage. L’idée de ce sujet de stage a émergé au fil des échanges avec Maéva. Comme d’autres étudiantes avant elle, elle m’avait sollicitée car elle souhaitait étudier l’aromathérapie vétérinaire. Et comme aux autres, je lui ai expliqué qu’en tant que sociologue, je n’étudiais pas les propriétés thérapeutiques des plantes et les conditions de leur utilisation sur les animaux. Mes recherches visent à saisir pourquoi et comment des éleveurs en viennent à utiliser des médecines alternatives, dans un contexte où la très grande majorité des vétérinaires ne sont pas formés à celles-ci, voire y sont hostiles. Après lui avoir donné quelques contacts de spécialistes de sciences animales étudiant les plantes en santé animale, je lui ai aussi proposé de faire une enquête auprès des éleveuses. En effet, à l’issue des travaux que j’avais conduits sur les usages des médecines alternatives à la ferme, un constat s’était fait : les femmes, et plus précisément les éleveuses, étaient particulièrement actives sur ce sujet2.

Maéva a accepté de se lancer dans une enquête sociologique : elle renonçait à approfondir sa connaissance de l’aromathérapie pour la santé animale, mais cela lui permettait de rencontrer et échanger avec des agricultrices et de visiter différents types de fermes, alors qu’elle-même était très intéressée par les métiers de l’élevage. Bien que ce stage eût lieu à une période particulière pour moi, un moment où j’étais moi-même amenée à construire un nouveau projet scientifique suite à mon arrivée au CESAER, je ne regrette pas du tout de l’avoir encadré. Il fut en effet le support d’une découverte des recherches sur les femmes en agriculture, de différentes initiatives féministes au sein du monde agricole et, surtout, de nombreux échanges avec Maéva et d’autres collègues sur la condition des femmes en général et en élevage en particulier, mobilisant nos expériences et nos diverses lectures sur le féminisme3.

 

Entrée de la ferme d’une des éleveuses enquêtées.

 

Une enquête ratée ?

La durée d’un stage de master (6 mois) ne permettant pas de réaliser un grand nombre d’entretiens, l’enjeu était de constituer un échantillon d’enquête relativement homogène, afin d’avoir des situations suffisamment comparables. Au regard des observations faites dans mes enquêtes précédentes, il a été décidé de rencontrer uniquement des femmes travaillant avec des hommes – idéalement leur conjoint – dans des fermes spécialisées en élevage de bovins laitiers et, bien sûr, utilisant des médecines alternatives pour soigner tout ou partie de leur troupeau. Ce qui importait ici était de saisir la place des femmes dans le travail à la ferme en général, face aux autres membres du collectif de travail, et plus particulièrement leur capacité à entraîner un changement des pratiques de soins aux animaux. Pour des questions d’accès au terrain, les entretiens ont tous été menés dans la région Bourgogne-Franche-Comté. Ainsi, Maéva a interviewé 16 éleveuses qui avaient entre 24 et 63 ans au moment de l’entretien. Seule l’une d’entre elles, la plus jeune, installée avec ses deux parents, était sans enfants. Toutes les autres travaillaient avec leur mari sur la ferme et avaient un ou plusieurs enfants. 15 sont associées de l’entreprise agricole, et une seule est conjointe collaboratrice. Par ailleurs, du fait du choix de la zone d’enquête, toutes les fermes, sauf une, sont engagées dans des filières de qualité: 10 produisent du lait destiné à la fabrication de fromages sous appellation d’origine protégée (AOP)4, 4 sont converties à l’agriculture biologique (AB), la dernière cumule les signes AB et AOP Comté.  

Autant l’avouer de suite, cette enquête a raté son objectif initial : elle ne permet pas d’expliciter de manière claire le rôle des femmes dans la diffusion des médecines alternatives en élevage laitier. Car si l’identification des personnes à enquêter a été relativement facile5, cela a conduit à rencontrer des femmes qui avaient des usages très diversifiés des médecines alternatives. Sans doute avons-nous été trop ambitieuses en pensant percer le mystère de la forte présence des femmes dans le domaine des médecines vétérinaires non conventionnelles sur la base de quelques entretiens qualitatifs. Néanmoins, d’expérience, je constate qu’une enquête ratée ne l’est jamais tout à fait, et qu’elle peut même parfois conduire à une recherche passionnante. Dit autrement, il faut parfois se décaler de son questionnement initial pour saisir des dynamiques sociales essentielles. C’est ce que je vais tenter de faire à travers la redécouverte des entretiens de Maéva. Une première lecture m’a déjà permis d’en saisir toute la richesse: elles parlent de leurs choix de vie, de leur organisation quotidienne, de leur manière de s’imposer plus ou moins facilement face aux hommes, de leur passion des animaux. Et derrière leurs paroles, on entrevoit différentes conceptions du métier, de la maternité, des rapports entre les femmes et les hommes. Certaines revendiquent leur choix d’une vie à la ferme, même si le travail y est dur, d’autres ne parviennent pas à retenir leur larmes quand elles abordent certaines difficultés.  

Je vous propose donc de me suivre dans ce travail d’analyse sur le blog. Ce billet constitue ainsi le premier d’une série consacrée à la place des femmes sur les fermes familiales en élevage laitier.


Pour en savoir plus:

Le rapport de stage de Maéva Donadieu ainsi que le document de synthèse de l’enquête sont disponibles sur demande. 

 

Crédits photos

Toutes les photos de ce billet ont été prises par Maéva Donadieu, stagiaire en 2023 à l’UMR INRAE-CESAER / © INRA


 

  1. Maéva terminait alors ses études à l’Institut Agro Montpellier, en formation ingénieur option systèmes d’élevage []
  2. J’avais publié un article sur ce point sur le blog Transhumances. []
  3. Je pense notamment aux discussions avec Anne Jégou avec qui je partageais alors le bureau, et qui travaillait sur les mouvements écoféministes, et avec Claire Manoli avec laquelle j’avais mené une partie de mes recherches sur les médecines alternatives à la ferme. []
  4. AOP Comté principalement, mais aussi bleu de Geix et époisses []
  5. Nous avons pu nous appuyer sur différents informateurs : éleveuses connus de collègues du CESAER, animateurs de groupes de développement agricole ou formateurs en médecines alternatives []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Florence Hellec (14 mars 2025). Etre éleveuse en famille aujourd’hui #1. Présentation de l’enquête. L'ESTIVE. Consulté le 28 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13h48


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